Discuter avec Ionna Vautrin c’est faire des allers-retours entre l’imaginaire et le concret, l’inconcevable et la technique, le beau et l’utile.

Très attirée par la cuisine, Ionna choisit finalement des études de design industriel… une designer voyageuse !

« Après mon diplôme obtenu à l’École de Design Nantes Atlantique en 2002, je suis partie à l’étranger : en Espagne pour Camper où j’ai dessiné des chaussures, puis à Milan où j’ai créé pour George J. Sowden. De retour à Paris, j’ai travaillé pour l’agence Cent degrés puis chez les frères Bouroullec, des designers Bretons, où je suis restée 5 ans. C’était passionnant, j’ai dessiné des bouteilles de parfum, de l’électroménager, du mobilier, des luminaires… ».

Vous connaissez l’arroseuse arrosée ? C’est la création d’une lampe qui va projeter Ionna dans la lumière auprès du grand public. « En 2010 j’ai élaboré, pour l’entreprise italienne Foscarini, la lampe Binic (baptisée d’après un phare breton, bien sûr !) qui a été distribuée dans une centaine de pays ».

Puis elle lance son propre studio en 2011, en étant au passage Lauréate du Grand Prix de création de la ville de Paris. Depuis elle travaille en solo, sur tous types de projets, avec parfois des exigences très élevées (besoin du client, contraintes de fabrication ou d’utilisation) et parfois avec carte blanche.

En 2017, voyage et lumière rattrapent Ionna : SNCF lui demande d’imaginer une lampe pour les nouveaux TGV Océane. C’est un franc succès, cette lampe étant même déclinée en une version domestique.
Et son actualité est passionnante : en février 2023, elle est sélectionnée avec un autre candidat pour la conception et la réalisation des chaises de la Cathédrale Notre Dame de Paris. Souhaitons à l’éclairante Ionna de gagner cette finale !

Derrière ces succès se cachent beaucoup de travail bien sûr et une bonne dose d’abnégation.
« 98% des projets ne sont pas achetés, et les idées non concrétisées ne sont pas payées. Je propose parfois plusieurs réponses à un appel d’offres, comme pour les lampes TGV pour lesquelles j’ai réalisés 6 designs différents. Au-delà de l’aspect financier, cela peut être décevant de ne pas voir ses projets aboutir, et on peut avoir l’impression de travailler pour rien. Mais d’imaginer des objets me nourrit cérébralement ».

Pour Mme et M. Tout-le-monde, il peut paraître difficile d’imaginer de nouveaux designs pour des objets du quotidien (prenez une feuille blanche, un crayon et essayez…).

Ionna a quelques réflexes pour vaincre les biais de fixation quand elle travaille sur un projet pour un client : « Je cherche tout d’abord à comprendre son univers et son esprit. Puis je me documente dans des livres et des catalogues, sur l’aspect design mais aussi sur les procédés de fabrication. Quant à l’inspiration, elle peut venir de visites d’expositions, de balade dans la nature, de constructions architecturales, de découvertes d’usines… Par exemple, la visite de la Cité du Train à Mulhouse m’a éclairé sur l’histoire de l’art, de l’industrie et de la technologie dans le milieu ferroviaire et m’a inspirée pour créer la lampe TGV. La lampe Binic quant à elle est inspirée de l’univers marin, avec l’allure des manches à air arpentant les ponts des bateaux ».

Nourrir son cerveau d’univers différents, voilà un secret que les personnes créatives ont en commun. La nature ayant horreur du vide, le cerveau a cette faculté de faire des ponts pour relier ces univers, et ce faisant il peut imaginer des choses qui n’existent pas… à condition qu’on l’y autorise ! Combien de séances de créativité ou de Brainstorming finissent sans résultat probant par manque d’autorisation au lâcher-prise ? La créativité fonctionne avec la liberté d’esprit, une preuve étant les rêves sans queue ni tête que nous faisons la nuit lorsque la conscience ne contrôle plus les idées.

En plus d’être voyageuse, Ionna est donc aussi exploratrice d’univers. Souvenez-vous, elle avait hésité au moment du choix de ses études entre cuisine et design… Mais pourquoi diable choisir ? Ionna a passé il y a quelques années un CAP cuisine en cours du soir, et plus récemment, un autre CAP de tourneur céramique. « Ce sont des passions que j’ai depuis enfant, et qui me permettent de réaliser un processus complet, de l’idée à un produit concret ».

Nul doute que la prochaine étape sera pour elle d’allier le design avec ses deux autres passions. Comment s’y prendra-t-elle ? Comme elle le dit avec humilité à ceux qui lui demandent comment innover : « Je ne me considère pas comme innovatrice alors difficile de donner des conseils. Il y a des méthodologies comme le « Design Thinking » ou le « design fiction ». Personnellement je ne pratique pas ces stratégies, je suis plus dans le ressenti ».

Le « ressenti » et « l’intuition » sont-ils des concepts entendables dans les entreprises ? Dans un monde « VUCA » (Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity), le salut viendra peut-être de la libération de ces énergies-là.

Propos recueillis par Yann Veslin – Janvier 2023

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